Jeyne pouvait enfin profiter d'un moment de répit après la matinée mouvementée qu'elle venait de passer. Un jeune dresseur plein d'ambition venait de voir sa journée gâchée, vaincu face à la championne d'Acajou qui n'était autre que Jeyne. Un petit sourire se dessina sur son visage, se souvenant elle aussi de ses longues journées à parcourir la région. Avec la rage de vaincre, rien ne pouvait se mettre en travers de son chemin. Et quand c'était le cas, gare au pauvre fou qui osait la couper dans son élan. Quittant tout juste l'arène, elle reprit ses esprits. Son ventre criait famine et elle ne désirait plus qu'une chose : être assise face à un bon plat chaud. Celle-ci avançait d'un pas accéléré, saluant par un sourire les habitants de la ville. Elle ne voulait en aucun cas être retardée et perdre du temps à discuter du temps l'agacerait plus qu'autre chose. Mais dans sa course folle, un léger détail retint son attention. Une personne qu'elle reconnaîtrait parmi des milliers. Le jeune homme en question se tenait de dos. Jeyne resta quelques uns instants ainsi, à l'observer. D'où elle se tenait, la championne parvenait à entendre le son de sa voix, et ce rire qu'elle aimait tant. Sans aucun doute, il s'agissait bien d'Emrys. Emrys. Son prénom eut l'effet d'un écho dans sa tête. Elle ne cessait de le répéter pendant plusieurs minutes. Son meilleur ami, son compagnon était bel et bien de retour à Acajou. Discutant avec un habitant de la ville, le vieil homme remarqua très vite la présence de Jeyne et l'invita donc à les rejoindre. Et puis Emrys se retourna. Enfin. Il remarqua la présence de la jeune femme qui était encore toute chamboulée. « Désolée Monsieur Hales, mais je n'ai pas beaucoup de temps, il faut que je rentre. » L'imagination Jeyne, il aurait fallu en faire preuve pile à ce moment-là. Un sourire moqueur s'afficha alors sur le visage ridé de l'homme. « Allons. Vous pouvez accorder un peu de temps à notre cher Emrys, de retour depuis une longue absence !» Prise au dépourvue, il ne lui restait plus qu'à faire face. Cela faisait tellement longtemps. Des jours, des mois puis des années durant lesquelles celle-ci avait refusé toute correspondance. Calme, son visage était toujours aussi doux. Il n'avait absolument pas changé. « Bon, je dois m'en aller. Amusez-vous bien les jeunes ! » Non, non, et non. Jeyne essayait d'attirer le regard de ce cher Monsieur Hales (d'ailleurs, elle n'aurait jamais pensé devoir le faire un jour.) Elle hurlait intérieurement. Par pitié, ne la laissez pas seule avec lui. Elle n'était pas encore prête. A vrai dire, elle ne l'aurait jamais été.

Lorsqu'ils furent enfin seule, Jeyne ne cessait de regarder ailleurs. Un enfant jouait non loin avec le carapuce de son grand-frère. Le froid arrivait progressivement sur Acajou. Championne de l'arène de glace, elle aimait particulièrement l'hiver. Les températures extrêmes lui permettaient de mieux travailler, et c'était également le cas pour ses pokémons (sauf farfuret, le capricieux.) Un silence lourde s'installa très vite et Jeyne réfléchissait aux paroles qu'elle allait prononcer. Quelque chose de simple et d'un ton neutre. Elle ne devait pas laisser percevoir ses sentiments, qui grandirent à son égard au fil du temps, et devait dans tous les cas se montrer calme. Le ton pouvait très vite monter avec elle et même Emrys risquerait de perdre le contrôle. « Bon retour parmi nous. ». Plutôt pas mal. « Alors, quel bon vent te ramène ici? ». Elle fit même l'effort de sourire, ce qui avait le mérite l'un des sourires forcés les plus ratés qu'elle n'avait jamais fait. Cependant, elle redevint très vite « familière » et reprit alors sur un ton un peu plus habituel de la personne qu'elle représentait. « Le merveilleux dresseur que tu es a enfin terminé sa quête ? » La limite fut franchit à la limite où celle-ci adopta son air sarcastique. Et puis, elle n'en avait que faire au final. Ils n'avaient pas eu de discussion depuis un bon bout de temps alors celle-ci se devait d'être intense, histoire de rattraper le temps perdu. Prise d'une assurance folle, elle arrivait enfin à le regarder droit dans les yeux, comme elle avait l'habitude de faire avant. Avant que tout ne change. Indécise. Voilà comment elle se comportait en la présence d'Emrys. Quelques secondes avant, elle s'encourageait intérieurement à garder son calme, telle une professionnelle. L'instant d'après, la voilà redevenue celle qu'elle avait l'habitude d'être, mais probablement en pire. « Quelle merveilleuse journée ! » lança-t-elle, ce qui était complètement hors-sujet. Son but était d'en rajouter une couche, comme elle savait si bien faire. Face à lui, elle avait de nouveau dix-neuf ans. L'année durant laquelle elle sentit le plus grand vide en elle. Un sentiment d'abandon que jamais elle ne réussit à combler. L'heure des retrouvailles, mais aussi des explications. Jeyne pouvait tirer une croix sur son déjeuner.